ثقافة Cycle de films documentaires à la Cinémathèque Tunisienne : Documentaires de la parole libérée

Illustration: Sadri Khiari
Les trois premiers films documentaires projetés au début du cycle organisé par la Cinémathèque Tunisienne autour du thème « Tunisie 2011 : L'ère Documentaire » du 17 au 31 janvier 2024 à la Cité de la Culture ont tous un point commun remarquable : celui de donner la parole à ceux qui en étaient privés : des avocats, des activistes, des universitaires, des opposants, des défenseurs des droits de l’homme. Car si la révolution tunisienne a un mérite, c’est celui d’avoir libéré la parole dans l’espace public. Une parole qui était avant 2011 confisquée, contrôlée, réprimée et sanctionnée si elle allait à l’encontre de l’image que voulait refléter le régime de Ben Ali. Par espace public, nous entendons la rue, les places publiques et tout autre espace où la parole pouvait être partagée publiquement, librement avec d’autres interlocuteurs.
Le cinéma tunisien, comme d’autres médiums dont les médias en particulier, s’est emparé de cette liberté nouvellement acquise, fruit de la révolution, pour traiter de sujets qui relevaient d’une impossibilité réelle : la libre expression politique, les droits de l’homme, les soulèvements sociaux, etc. et pour porter des voix restées jusqu’à là inaudibles.
La forme documentaire semblait, à juste titre, la mieux adaptée pour donner un visage et une parole à ceux qui étaient emmurés dans un système quadrillé. Et c’est probablement la libération -qui s’est opérée contre toute attente un certain 14 janvier 2011 pour dater une rupture qui marque un changement essentiel dans les modes d’expression – c’est donc la libération d’un réel opprimé, et frustré qui peut expliquer la profusion de cette forme d’expression cinématographique après la chute du régime qui était en place.
Du jour au lendemain, des tunisiens ont eu cette incroyable possibilité de s’exprimer, de se raconter, de se dévoiler, de critiquer car les murs qui les maintenaient privés de parole ont été abattus.
C’est dans cet élan documentaire, que plusieurs cinéastes ont porté leur caméra pour filmer à corps battants les manifestations, les sit-in, les meetings, etc. Parmi ces films nous citons : « Plus jamais peur » de Mourad Becheikh (film présenté en séance spéciale à la 64e édition du festival de Cannes), « Fellagas » de Rafik Omrani, « Rouge parole » d’Elyès Baccar, « Maudit soit le phosphate » de Sami Tlili, « 7 et demi » de Néjib Belkadhi, « Un Retour (Ala hadhihi Al Ardh) » de Abdallah Yahia et bien d’autres films qui se sont saisi du réel pour en faire une matière cinématographique et des documents pour l’histoire. Un peu comme les historiens qui écrivent l’histoire des évènements et des hommes, des cinéastes tunisiens ont fait acte d’écriture filmée de l’histoire présente et passée : des films contre l’oubli, des films à l’affût de traces, des films qui rétablissent des vérités et bien d’autres qui permettent de suturer des blessures du passé.
Le film inaugural de la manifestation organisée par la Cinémathèque Tunisienne fut « Plus jamais peur » (2011) de Mourad Becheikh, un documentaire « réalisé dans l’urgence » comme l’explique son réalisateur et qui tente de saisir l’enthousiasme et la détermination de ceux qui ont participé à l’effervescence des premiers jours d’après la chute du régime de Ben Ali en donnant la parole à des figures militantes tels que Lina Ben Mhenni et Radhia Nasraoui. En revenant sur certains évènements douloureux, leurs témoignages fournissent des explications, donnent des éclairages sur une époque désormais révolue. Une séquence particulièrement marquante du film est celle du démantèlement de l’enseigne du Rassemblement Constitutionnel Démocratique posée sur la porte principale du bâtiment d’un « parti-état » qui dirigea le pays durant 23 ans ne reconnaissant ni pluralisme, ni liberté de presse et encore moins celle de l’expression.
Le deuxième film « Une vie en dents de scie » (2012) de Mounir Baaziz dresse, quant à lui, le portrait de la militante Halima Jouini, une femme qui s’est battue pour défendre les droits de la femme. A côté du portrait de la militante, le champ s’élargit sur son environnement et ses compagnons de lutte tels que Ahlem Belhaj, Hafidha Chekir, Bochra Belhaj Hamida et bien d’autres figures de l’association des femmes démocrates. Aussi la parole a été donnée à la journaliste et écrivaine Jalila Hafsia fondatrice du club Tahar Haddad, bref un florilège de voix qui ont marqué l’histoire des luttes féminines en Tunisie. Le cinéma fonctionne ici en tant que document d’histoire et source d’informations pour ceux qui s’intéressent à la naissance du mouvement féministe dans les années 80.
Enfin, le troisième film, « La mémoire noire » (2013) de Hichem Ben Ammar, s’intéresse au sujet de la torture subie par les militants gauchistes du groupe Perspectives durant le règne de Bourguiba. Fathi Belhaj yahia (prisonnier politique de 1975 à 1980, Hachemi Troudi et Ezzeddine Hazgui (prisonniers politiques de 1968 à 1970 et de 1973 à 1979) et avec eux Simone Lellouche épouse du militant Ahmed Ben Othman Raddaoui, racontèrent la dureté et l’absurdité des châtiments corporels subis à Borj Erroumi et à la prison du 9 avril. Qui pouvait parler d’une façon aussi libre de la torture sous Bourguiba ? C’est la révolution qui l’a permis et c’est le cinéma qui s’en ai saisi pour donner libre cours à des êtres et à des paroles brimés.
Chiraz Ben M’rad
NB : Les projections du cycle « Tunisie 2011 : L'ère Documentaire » se poursuivent à la Cité de la Culture jusqu’au 31 janvier 2024 selon le programme suivant :
Samedi 20 janvier 2024
● 16h00 : EL GORT, dir. Hamza Ouni, 2013, Tunisie, 87’
Synopsis : Deux jeunes tunisiens tentent de survivre en travaillant dans le commerce du foin. Leur journée de travail commence très tôt et semble ne jamais finir. Sans aucune alternative entre chômage et exploitation, les rêves d’une jeunesseinsouciante se transforment vite en désespoir. Un film à l’énergie sauvage et au goût amer qui dit tout ce que l’on peut dire sur la Tunisie d’aujourd’hui.
● 18h30 : LE CHALLAT DE TUNIS, dir. Kaouther Ben Hania, 2012, Tunisie, 90’
Synopsis : Tunis, un homme sur une moto, une lame de rasoir à la main, rôde dans les rues de Tunis. Il s’est donné pour mission de balafrer les fesses des femmes qui arpentent les trottoirs de la ville. On l’appelle le Challat. D’un café à l’autre, d’un quartier à l’autre, les histoires les plus folles circulent à son égard. Le Challat est devenu une sorte de figure mystérieuse entouré d’un halo de fascination, de fantasme et de terreur. Tout le monde en parle mais personne ne l’a jamais vu.
Mardi 23 janvier 2024
● 18h30 : ROUGE PAROLE, dir. Elyes Baccar, 2011, Tunisie, 94’
Synopsis : Le printemps arabe a éclaté dans un pays où peu de gens l’auraient attendu, suivi d’un tremblement de terre politique qui a secoué le monde. «Rouge Parole» est l’histoire de la révolution populaire tunisienne racontée émotionnellement par ses héros à travers leur silence et leurs clameurs. C’est ’histoire de la liberté.
Mercredi 24 janvier 2024
11h00 : Table ronde
● 16h00 : MOHAMED BEN JANNET, dir. Ridha Ben Halima, 2012, Tunisie, 59’
Synopsis : Le film relate la vie mouvementée de Mohamed Ben Jannet, militant de gauche et héros des manifestations du 5 juin 1967.
● LE VISAGE DE DIEU, dir. Bahram Aloui, 2014, Tunisie, 58’
Synopsis : Après trente ans passés et suite aux nombreuses déceptions, un jeune homme, déjà usé par la vie, convoque son passé pour le revisiter. Il revient ainsi sur son enfance dans son village du Nord-Ouest tunisien au milieu des années 80, une des zones d’ombre du pays.
Jeudi 25 janvier 2024
● 18h30 : TRAVELLING, dir. Ons Kammoun, 2017, Tunisie, 77’
Synopsis : Une enseignante de la capitale, nommée dans le sud tunisien, s’évertue, envers et contre tout, et malgré les questionnements à produire des films avec ses étudiants. Cette expérience de la traversée du désert est une initiation qui transforme la volonté de combattre en désir d’être.
Vendredi 26 janvier 2024
● 16h00 : ON THE ROAD, dir. Adnen Meddeb, 2011, Tunisie, 8’
Synopsis : Après le 14 janvier et au mois de février, un pays dans un processus révolutionnaire populaire, des forces contre-révolutionnaires. La dictature est encore là. La résistance est présente aussi. Une Tunisie avec une jeunesse, un peuple plein d’espérance et d’inquiétude…
● WAR REPORTER, dir. Mohamed Amine Boukhris, 2013, Tunisie, 74’
Synopsis : Janvier 2011, La Tunisie ainsi que tout le monde arabe sont secoués par des révoltes populaires massives et sanglantes contre leurs régimes dictatoriaux. Un rendez-vous avec l’histoire qu’ils ne pouvaient rater. « Ils », ce sont les véritables soldats de l’ombre en quête perpétuelle de l’information et de l’image reflétant les réalités, notamment les plus effroyables. Ce sont des reporters hors normes, qui sont nos yeux et nos oreilles, au cœur des conflits et des affrontements les plus violents, et ce au risque de leur propre vie.
● 18h30 : DERRIÈRE LA VAGUE, dir. Fethi Saidi, 2016, Tunisie, 100’
Synopsis : Suite aux événements liés à la chute du régime de Ben Ali, des dizaines de milliers de Tunisiens ont pris le large dans l'espoir d'entamer une nouvelle vie sur l'autre rive de la Méditerranée. Depuis plusieurs années, des centaines de jeunes harragas sont portés disparus. Beaucoup de familles gardent la certitude de leur survie et continuent de réclamer des explications quant à la réalité de leur situation après leur débarquement en Italie.
Samedi 27 janvier 2024
● 16h00 : GÉNÉRATION MAUDITE (WLED AMMAR), dir. Nasreddine Ben Maati, 2013,
Tunisie, 61’
Synopsis : De jeunes tunisiens prêts à changer le monde ont lutté dans le
cyberespace contre la censure de Ben Ali. Leur mobilisation et leur influence sur lesréseaux sociaux à partir de décembre 2010 ont suscité de grands espoirs. Un an à peine après la révolution, le constat du désenchantement d'une partie de la jeunesse privée de ses aspirations à la liberté et la démocratie s'impose à tous.
● 18h30 : FATHALLAH TV, dir. Wided Zoghlami, 2019, Tunisie, 80’
Synopsis : Trois destins de jeunes, un quartier, une décennie entre deux époques :2007 - 2017, de la dictature à la démocratie. À travers les rues et les maisons de Djebel Jeloud, ces jeunes partagent leurs rêves et nous livrent un regard aiguisé sur le pays. Par la musique, le film se fait « porte voix » d’une génération.
Mardi 30 janvier 2024
● 18h30 : C’ÉTAIT MIEUX DEMAIN, dir. Hinde Boujemaa, 2012, Tunisie, 74’
Synopsis : Janvier 2011, Tunis : alors que la révolution gronde dans les rues de la capitale tunisienne, Aida et son fils Faouzi luttent pour leur survie en marge de la société. Femme et mère marquée par la vie, ayant suivi le chemin menant au vol, à l’abus d’alcool et à la prison, Aida garde une incroyable force qui lui permet de se relever même quand la violence du destin la pousse au fond du gouffre.
Mercredi 31 janvier 2024
● 18h30 : L'ÎLE AUX ENCHÈRES, dir. Majdi Kaaniche, 2016, Tunisie.
Synopsis : C’est l’histoire du combat mené par les habitants de Kerkennah contre lescsociétés pétrolières.
● REVOLUTION UNDER 5’, dir. Ridha Tlili, 2011, Tunisie, 75’
Synopsis : Le film suit un groupe de jeunes artistes tunisiens de guérilla qui portent leur bataille contre la répression sur les rues en Tunisie. Ils ont une web-radio, en réseau avec les militants et activistes. Ils dessinent sur les murs leurs slogans, revendications et images qui interprètent l’islamophobie européenne, la créativité et la résistance.